Per la lenga d'òc
A l'occasion du vote par l'Assemblée nationale du texte concernant la ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, nous vous offrons cette page de Claude Martí, toujours d'actualité :
PER LA LENGA D’OC
Tenons ferme. Après l’Édit de Villers-Cotterêts (1539) lui interdisant
toute expression officielle, la langue d’oc s’était réfugiée à fleur de sol
pour continuer à dire l’eau, la terre, le vent, le travail et les émotions des
hommes. Aiga, tèrra, vent, trabalh, espèr e dolor... Clandestins dans leur
propre pays, les mots de la vieille langue avaient tenu bon, cachés au
mitan de nos souvenirs, embusqués dans le maquis de nos cordes
vocales. Les gens de grand pouvoir les pourchassaient, les imbéciles
(d’ici et d’ailleurs) affligés du moindre atome d’autorité rêvaient de leur
couper pour une bonne fois le souffle. Mais la parole d’oc continuait
d’exister d’une vie ténue mais tenace dans l’intimité des familles, portée
quelquefois au grand jour par les fous et les poètes. Tenons ferme.
Savoir tordre le temps et l’espace qui nous étaient chichement impartis
pour nous les rendre habitables, nous y lover et y faire du sang neuf,
prêts à bondir à la lumière : voilà notre force. Vaille que vaille, coûte que
coûte, notre langue a traversé le temps des rois et des empereurs. Voilà
deux siècles que nous sommes en République. La République est un
corps vivant, elle est constituée d’une collectivité de citoyens fédérés
autour des trois grands principes fondateurs : Liberté, Égalité, Fraternité.
C’est au nom de la liberté, de l’égalité et de la fraternité que nous
demandons aujourd’hui un service minimum de dignité reconnue pour la
langue d’oc et les autres langues de la République. La dignité, pour une
langue, c’est la possibilité pleine et entière d’être enseignée et apprise, la
possibilité de manifester sa présence active — par tous les moyens
opportuns — dans tous les lieux et dans toutes les circonstances de la vie
des hommes.
Il n’existe pas de peuple inférieur, il n’existe pas de langue mineure :
cette certitude, nous la tenons de la République elle-même ! Nous la
tenons de ces passeurs de futur que furent Jean Jaurès et Ernest
Ferroul, nous la tenons de nos poètes ouvriers, de nos éducateurs, tels
Victor Gelu, Auguste Fourès, Antonin Perbosc, Frédéric Mistral, René
Nelli, Joseph Delteil. Une langue n’est pas un simple catalogue de mots,
elle est une manière d’être à l’univers, une part irremplaçable de la
culture de l’humanité. Défendre la langue d’oc aujourd’hui, ce n’est donc
pas simplement vouloir sauvegarder un patrimoine essentiel, un héritage
légitime : c’est œuvrer comme citoyen responsable dans la République,
et au delà, s’affirmer comme citoyen du monde.
Tenons ferme. Il va falloir encore et encore tailler la piste dans la jungle
épaisse de l’ignorance, des conformismes, des peurs anachroniques et
des calculs de rentabilité à court terme. Mas lo jòc n’en val la candèla, e
entre totes, me damne : i arribarem !
Claude MARTI.